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REFLEKSYON BALISTIK

Texte : Laurent Van Wetter

Traduction : Jacques Adler Jean-Pierre

 Mise-en-scène : Guy Régis Jr

Assistant à la mise-en-scène : Daphné Ménard

Interprétation : Néhémie Bastien et Zuma Lavertu

Régie lumières : Junior Neptune

Production NOUS Théâtre

Coproduction Association 4 Chemins

Création Festival 4 Chemins, Novembre 2021

Crédits photos : Kit Médias

Que se passe-t-il dans le cerveau d'un homme lorsque celui-ci voit s'approcher la cause de sa destruction imminente ? Il peut se demander qui est derrière cette mort programmée. Cela peut être l'occasion d'une introspection féconde : rien de tel que l'urgence pour se remuer les méninges. Il peut même se réjouir de l'attention, très ciblée, qu'on lui porte. Mais finalement, ce qui compte, n'est-ce pas le rendez-vous pris entre ce petit bout de métal, lisse et froid, avec ce cerveau chaud et circonvolutionné ?

Ce texte parle d'un homme qui, dans la vie, a choisi la sécurité. Qui s'est protégé de tout : des rencontres, des voyages, de l'amour, de la famille, du travail, de la politique… 

 

De son appartement propre et bien rangé, il peut embrasser la ville d'un regard. Sans jamais la toucher. Sans se laisser toucher par elle. Il voit, mais ne participe pas. C'est dans cette sécurité extrême que la mort le rattrape. Une mort violente que rien ne laissait prévoir. Rien, vraiment ? 

 

Peut-on éviter les agressions simplement en s'y exposant le moins possible ? Est-ce parce qu'on a toujours évité de prendre position, qu'on ne peut pas être un jour la cible, anonyme ou non, d'un tueur ? Peut-on se mettre à l'abri du Monde ? 

Il y a aussi la question de la culpabilité. Etre victime ne renvoie-t-il pas, même inconsciemment, à la notion de faute ? Combien de fois, à propos d'une personne ayant subi un accident, un vol, une agression, une maladie, etc., n'avons-nous pas entendu : "Il l'a bien cherché." ou "Ça devait arriver." ? 

Que ces propos soient déplacés ou non n'est pas ce qui me préoccupe : il y aura toujours des gens pour qui toutes les victimes sont innocentes, et d'autres pour qui elles sont toutes coupables. Ce qui m'intéresse ici, c'est le point de vue de la victime elle-même. 

Comment ne pas se sentir coupable lors d'une agression ? Comment ne pas chercher à savoir ce qu'on aurait pu, ou dû faire pour y échapper ? Quelle est notre part de responsabilité dans la violence dont nous sommes l'objet ?  

Voilà quelques-unes des questions que j'aimerais soulever à travers ce récit. 

Laurent Van Wetter

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"Je suis assis dans un fauteuil et je ne fais rien. Je ne lis pas, je ne parle pas, je n’écoute pas de musique et je peux à peine affirmer que je pense. Les jambes

croisées, je regarde la vue à travers la baie vitrée du salon, distante d’une dizaine de mètres. Cette perspective me détend : d’abord, mon appartement

spacieux et bien rangé - je vis seul - ensuite les maisons du quartier, dont j'aperçois seulement quelques toits, et au-delà, les tours du centre ville. Comme

j’habite le septième étage d’un immeuble à loyers exagérés, je jouis d’une vue qui s’étend sur des kilomètres.

 

Alors que tout est tranquille depuis au moins une heure, mon attention est attirée par un fait étrange : sans que cela fasse le moindre bruit, une étoile s’est

formée sur la vitre principale de la baie vitrée. Au centre de cette étoile, à hauteur de mon visage, un petit trou.

 

Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, il suffira d’appeler un vitrier et de contacter l'assurance. Cela occasionnera quelques démarches fastidieuses, mais j'ai le

temps. C'est le luxe principal dont je jouis dans la vie. Le temps. La plupart des gens que j'ai côtoyés travaillent pour gagner de l'argent. Absurde. La richesse

étant illimitée, donc impossible à assouvir, ils participent à une course aussi effrénée qu'inutile. Et la majorité d'entre eux finissent par mourir exténués, avec

l'intime et frustrante conviction que la ligne d'arrivée les attendait justement derrière le prochain virage.

 

Moi, persuadé que c'est le repos qui fait les centenaires, bien plus que le yaourt, j'ai travaillé pour gagner du temps, la seule chose qui nous est

réellement comptée. Et aujourd'hui, grâce à quelques opérations financières rondement menées, mon horizon est dégagé de toute perspective de travail

pour les cinquante années à venir. Et même au-delà. Alors, une vitre cassée… 

 

Une seconde observation me rend moins optimiste. En effet, ce trou a étécréé par un petit projectile en métal, et celui-ci, loin d’avoir terminé sa course,

se dirige droit sur mon front. Entre mes deux yeux, pour être précis. Ce n’est donc pas d’un vitrier dont j’aurai besoin, mais d’une ambulance. Et, étant donné

la vitesse à laquelle il fend l’air qui nous sépare, je crains de ne pas avoir le temps d’appeler qui que soit.

Cela fait partie des petits inconvénients lorsqu’on habite seul : on peut se faire tranquillement agresser chez soi, et n’avoir personne sous la main pour

s’en rendre compte et téléphoner aux urgences. Mais bon, je ne vais pas renier quinze ans de vie solitaire heureuse pour une petite seconde de désagrément.

D’autant que lorsque les urgences arriveront, il n’y en aura sans doute plus. Quand ce type d'objet pénètre dans une boîte crânienne, le propriétaire de

ladite boîte déclare en général forfait. C'est l'avantage de la situation : elle ne risque pas de s’éterniser. J’ai horreur

des problèmes dans lesquels on s’enlise pendant des semaines, les décisions sans cesse reportées, et les multiples tergiversations qui en découlent. Ici, rien

de tout ça ne me guette : il n’y en a que pour une seconde, comme dirait mon dentiste. Et une seconde reste toujours une seconde.

 

Je vois s’approcher ce petit bout de métal, de forme cylindrique. Et par la même occasion, je me rends compte qu'il s'agit d'une balle de fusil.

Si c'est une plaisanterie, elle est de mauvais goût."

Réflexions balistiques, Laurent Van Wetter

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